Quelle aimable auberge, avec son toit de chaume! Des châssis verts en
égaient les murs blancs. Brodny se gare et pénètre
à l'intérieur.
Une chaleur douillette imprègne le restaurant. Plusieurs personnes occupent des tables ainsi que les tabourets alignés le long du comptoir. Brodny choisit une place à la fenêtre. Il commande un champ, une purée de pommes de terre veloutée, additionnée d'oignons. Il demande qu'on lui serve une grande bière noire.
De calmes
pensées habitent son esprit pendant qu'il absorbe le mets simple. Son regard
est dirigé vers les clients. Certains d'entre eux réintégreront leur bureau
après la pause. Il imagine une agence de voyage; une boutique de
vêtements; une administration. D'autres s'offrent leur luxe hebdomadaire,
sorte d'entracte ponctuant leur existence. Retraités, ceux-là retrouveront bientôt
leur chien et leur poste de télévision. Brodny commande un café. Il y
plonge deux cuillerées de sucre et une généreuse quantité de crème. Tout en
buvant les gorgées onctueuses, il réalise qu'il se sent bien.
Il a posté les lettres la
veille, depuis Dublin. En les réceptionnant, ses amis, sa famille, son
employeur remarqueront le timbre irlandais. Ils supposeront que Brodny prend
des vacances. Ils liront le message. Comprendront-ils? Ses parents sont
tous les deux décédés. Lucika est remariée depuis un an. Il ne laisse pas de
descendance.
Un instant, Brodny est
tenté de rester ici, dans ce village placide. Un frémissement radieux envahit
sa poitrine. Le matin, il achètera un quotidien local chez le marchand de
journaux — ils se souhaiteront une bonne journée. Brodny résoudra le sudoku. Il ralentira le rythme; de surcroît, ses
traductions s'amélioreront. Il gagnera moins d'argent, encore que; et
puis, ses frais diminueront. Chaque mois, rejoindre le continent lui permettra
de rencontrer l’éditeur et de voir ses proches. Des larmes coulent le long des
joues de Brodny. Pudique, il baisse la tête. Il regarde par la fenêtre.
Il revient à lui.
Quand il s'est installé au
Portugal, les idées noires ont réapparu. Ça n'a pas pris six mois. Comme les
autres fois, il a lutté. Un livre révolutionnaire. Un nouveau thérapeute. Des
médicaments.
Brodny a terminé. En
payant, il sourit aux tenanciers, leur serre la main. Ils se souviendront de
lui. Brodny monte dans la voiture et démarre. Parvenu aux falaises, il se range
dans la zone réservée aux véhicules. Deux familles marchent sur l'herbe. Il
attend: il n'est pas pressé. Il admire l'impressionnant paysage.
Il
a froid lorsque l'après-midi touche à sa fin. Il appelle la gendarmerie sur son
téléphone cellulaire. Il explique, s'excuse. Ensuite, il raccroche. Puis il
saute.
Photo © https://unsplash.com/photos/kiEct1FKZb8
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