À proximité du mur, la maman observait son enfant. À quatre pattes, Sophie s'engouffra dans la brèche et s’introduisit dans l'autre jardin. Quelle merveille! Il y avait le tunnel un peu sombre, fait d’arcades de pierre. Il y avait les arbres fruitiers, avec les cerisiers, les pommiers et les poiriers, sans oublier les fraises des bois, dissimulées sous leur feuillage. Enfin, on aboutissait à la balancelle, au milieu des fleurs sauvages. La petite fille s’y blottit pour lire son livre.
Parce qu'elle avait l'ouïe fine, Madame Ardène entendit le carillon de la sonnette. Elle traversa son propre jardin — une bande de terre sans soleil bordée d'un carrelage grisâtre — et avisa un grand jeune homme, dont le visage lui rappelait quelqu'un.
— Je suis Andréa, le fils des Chabot. Vos voisins.
— Bonjour Andréa. Tu as tellement grandi! Enfin, à ton âge, je suppose qu'on ne dit plus cela. Tu as bien changé! Que puis-je pour toi?
— Savez-vous où se trouve votre fille actuellement, Madame?
Intriguée par l'excitation perceptible dans sa voix, Catherine se garda de répondre.
— Dans notre jardin. Votre fille joue dans notre jardin.
— Je vois, répondit Catherine au bout d'un moment.
— Alors, ça se passe souvent comme ça en notre absence? Parce que mes parents sont trop âgés pour résider ici, votre fille se croit tout permis? Que la laissez-vous faire encore? Elle bronze sur notre herbe, récolte nos pommes?
— Je vous remercie pour votre avertissement. Je m'en vais rectifier la situation immédiatement. Attendez-moi au salon, je vous prie, dit-elle en s'effaçant pour le laisser entrer.
Elle se rendit jusqu'à la brèche dans le mur. Elle observa Sophie, endormie sur la balancelle. Ses cheveux auburn formaient de larges boucles sur les coussins. Le livre gisait à ses pieds. Jamais sa fille ne se serait permis de cueillir ne fût-ce qu'une seule fleur. Cette enfant incarnait l'innocence et la joie de vivre. Catherine fit demi-tour.
— Sophie, ma chérie! J'ai une surprise pour toi.
— Qu'est-ce que c'est, Maman? Un cadeau? On va au cinéma?
— Oh, merci Maman!
Assises côte à côte sur la balancelle, elles dégustèrent leur friandise.
— Ma chérie, ajouta soudain Catherine, nous avons eu la visite d'Andréa.
— Oh! Maman! Pourquoi ne m'as-tu pas appelée? Où est-il? Est-ce qu'il va nous rejoindre?
— Non, ma chérie. Il ne nous rejoindra pas.