Le couple éclate encore de rire. Harold s'interroge:
y a-t-il de quoi d'accroché à sa veste? Il balaie fébrilement son vêtement
de la main. Rien. Un épi dans ses cheveux? Il y passe les doigts pour
se rassurer, enchaîne avec les joues, à la recherche d’une miette égarée. Enfin,
il doit bien exister une raison à cette jubilation! Désespéré, Harold
s’adresse au duo hilare.
— Qu'est-ce qui vous fait rire?
— Pardon? répond le garçon.
— J'ai remarqué vos gloussements après que j'aie vérifié
l'horaire de l'autobus. Qu'y a-t-il?
Les jeunes gens échangent un regard dubitatif.
— Je ne comprends pas du tout, mais alors pas du
tout ce que vous dites! dit la fille en agitant sa longue chevelure.
— Pourtant je ne parle pas chinois! Pourquoi
vous moquez-vous de moi? Qu'est-ce que je vous ai fait? Je ne vous
connais même pas!
Le duo hoche la tête sans répondre.
Harold ne parviendra pas à endiguer la crise imminente — il le sait. Voilà que la terrible chaleur se répand dans ses veines, boursouflant ses jambes, ses bras, et jusqu’à son visage.
Le bus se profile au coin de la rue. Il s'immobilise à l'aubette,
le temps que le couple grimpe à l'intérieur. Harold s'est détourné: il ne
montera pas. Sa peau a commencé à craquer, émettant d'affreux bruits mous. Des petits
tas de fluide et de tissu musculaire tombent sur le sol. Au bout de plusieurs
minutes, une forme ronde jaillit de la guérite, pulvérisant
les cloisons de verre.
Au volant de l'autobus, le chauffeur tend la main vers son gobelet de café. Il a veillé trop tard hier, c'est évident. Il consulte à nouveau le rétroviseur. L’ahurissante apparition s’étire,
révélant un gouffre cramoisi qui rappelle une bouche. Le conducteur écrase l'accélérateur, provoquant une secousse violente. Les passagers se mettent à
hurler. Déjà, les mâchoires se referment sur l'arrière de l’autobus, plongeant
les dernières rangées dans l'obscurité.
photo © Mak
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