— Il faut qu'on remplisse le panier, dit Rowan, à califourchon sur une branche.
— Maman sera drôlement contente, répond son frère, au sol.
Owen place la corbeille dans l'herbe, pas trop proche du tronc, de manière à ce que Rowan puisse y lancer les cerises.
Il calcule l'angle afin que le panier demeure invisible depuis la grosse maison. Ensuite, il court en direction de celle-ci et se colle contre le mur, près du coin. Camouflé à l'arrière du bâtiment, il n'a qu'à pencher la tête de côté pour voir la rue. En cas de problème, il préviendra son frère, qui se laissera glisser le long du tronc.
C'est Rowan qui a découvert le cerisier. Son feuillage vert vif regorge de fruits couleur rubis. D'après le jeune garçon, ne pas y toucher constituerait une offense à la nature.
Blotti contre le mur, Owen patiente. Sous le soleil, il a chaud. Au moins, son frère profite d'un peu d'ombre. Owen devine ses mouvements grâce au froissement des feuilles. De temps en temps, un insecte bourdonne alentour. Tout est si calme. Les propriétaires sont en vacances, estime le garçonnet. Sinon, pourquoi négliger un cerisier en cet état? Ils rentreront sans doute bientôt.
N’empêche que les plates-bandes paraissent à l'abandon. Chez eux, des jonquilles pimpantes ceinturent la maison. Ici, des fleurs des champs poussent le long du mur, avec des mauvaises herbes. Owen reconnaît l'avoine, le liseron. Du verre brisé jonche même le sol. Il en ramasse un morceau. Ainsi armé, il gravit les marches du perron. Un rideau beige, sali par la rouille, pend par la fenêtre. La porte cède sans difficulté, révélant un salon pitoyable. Des fauteuils gisent, éventrés, entre des flaques d'eau croupie. Sur une télévision volumineuse, un pigeon se repose. Owen prend soudain conscience d'une présence. Il se retourne, brandit le bout de vitre. Le sang gicle sur son visage. Owen ne comprend pas pourquoi son frère s'écroule à ses pieds. Le silence gonfle, suffocant.
Owen traîne Rowan à l'intérieur du salon. Il l'installe sur le divan, étend une vieille couverture par-dessus son corps inerte. Puis il regagne le jardin, s'empare du panier. Il est plein à ras bord.
Photo © https://unsplash.com/photos/CR28Ot0ckaE
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