Une femme d'environ trente ans pénétra dans la salle d'attente. Elle me sourit avec douceur. S'agissait-il de ma nouvelle thérapeute? J'oubliai sur-le-champ l'année gaspillée auprès de la précédente, une psychologue fraîchement sortie de l'école, timide et très classique.
Celle-ci donnait une impression de maturité. Du reste, un diplôme de psychiatrie prévalait, académiquement parlant. Mais après avoir composé le code de la porte qui menait aux bureaux, la praticienne s’effaça sans m'inviter à la suivre.
Celle-ci donnait une impression de maturité. Du reste, un diplôme de psychiatrie prévalait, académiquement parlant. Mais après avoir composé le code de la porte qui menait aux bureaux, la praticienne s’effaça sans m'inviter à la suivre.
Peu après entra une dame plus âgée. Vêtue d'une jupe de laine et d'un haut étoilé, elle paraissait bien dans sa peau. Elle me regarda d'un air aimable.
— Bonjour! Vous venez pour Jacqueline Olivier?
— Oui, je suis Chandrani Ganesan, répondis-je.
Docteure Olivier déverrouilla la porte et me fit signe de la devancer.
— À votre gauche, le bureau du fond.
— Merci.
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La simplicité du décor — une plante luxuriante, des murs dégagés — instaurait une atmosphère sereine. |
J'accédai à une pièce de modestes proportions. La fenêtre ouvrait sur la rue; en face se dressait un édifice qui devait dater des années cinquante. À notre hauteur, une personne était penchée sur une table de travail. La simplicité du décor — une plante luxuriante, des murs dégagés — instaurait une atmosphère sereine. Je pris le temps de savourer cette vue, puis me tournai et souris à la psychiatre. Nous nous assîmes.
Comme le désordre ambiant contrastait avec la scène observée à l’instant! Ici et là, des boîtes cartonnées régurgitaient des mouchoirs. Les meubles, modernes, n'offraient aucune chaleur. Je cherchai quelque chose de beau où poser les yeux. Dans un cadre, une œuvre de Dalí rappelait une bande dessinée inachevée. Par contre, sur le mur de droite, un dessin dans des tons bleus et gris figurait un arbre garni de clés. Une main enfantine semblait l'avoir réalisé, non sans un certain talent, ne fût-ce que par l'originalité du sujet et des couleurs. J'en fis la réflexion à Jacqueline Olivier.
— C'est ma fille. Elle a également peint celui-ci, ajouta-t-elle en désignant le croquis d'un lieu de culte.
Je hochai la tête.
— Et maintenant, reprit-elle, si vous me disiez ce qui vous amène?
Au fil des mois, je découvris une professionnelle attentive, vivifiante, manifestement dotée d'une intelligence brillante. Comme il me plut bientôt à dire, j'avais trouvé une thérapeute à la hauteur de mes problèmes. Lorsque l'occasion se présentait, elle concluait en une seule phrase, parfois percutante, des mois de pénible questionnement. Étant passée entre les mains de nombreux analystes auparavant, j'étais prête pour ce genre de traitement.
Au cours des épisodes difficiles, les créations de sa fille me procuraient une précieuse diversion. Ainsi la petite scène de marché guatémaltèque, appuyée contre la fenêtre. Les couleurs du minuscule tableau, vives et aussi différentes que possible, rose fuchsia, bleu acidulé, vert luminescent, s’agençaient avec brio. D'une toile à l'autre, on percevait le mûrissement de la fille de Dre Olivier. Ici, la fantaisie déjà subtile d'une enfant douée. Ailleurs, une période de transition, une fadeur inattendue — un devoir d'école peut-être. Là, la maîtrise d'une femme épanouie.
Lorsque le moment de nous quitter arriva, j'exprimai à Jacqueline Olivier la gratitude que j'éprouvais envers elle, de même qu’envers sa fille. Je l'ignorais, mais celle-ci n'était plus de ce monde, alors mes paroles engendrèrent une grande émotion.
Photo © https://unsplash.com/photos/N4wUsqIbMAM
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