Ceylan et moi avions emménagé aux portes du quartier chinois, une véritable bénédiction pour des gens aussi casaniers que nous. Le samedi soir, nous prîmes l'habitude de nous rendre au Jardin de l'Orignal. En plein cœur de Montréal, ce restaurant fondamentalement asiatique avait voulu se donner un air local; cependant je trouvais l'association des deux mots un peu maladroite.
C'était l'option la plus proche de la maison. De l'autre côté du boulevard, nous aurions pénétré dans le quartier chinois proprement dit, mais, en tous points satisfaits, nous ne ressentions pas le besoin de varier. Les employés nous connaissaient et, comme nous prenions toujours une soupe en entrée, on déposait bols et cuillères sur notre table avant même que nous commandions. En fin de repas, nous recevions un biscuit sucré contenant un petit papier. Un dicton y était inscrit, «Après l'hiver vient le printemps», ou une bonne fortune, «Une surprise vous attend chez vous», en lettres rouges.
Peu fréquentée, la rue parallèle à celle de notre cantine abritait principalement des entrepôts. J’y avais un jour aperçu l'enseigne d'un autre restaurant chinois, à l'étage d'une maisonnette collée contre un bâtiment industriel. Lorsque l'équipe du Jardin de l'Orignal prit ses congés annuels, je proposai à Ceylan de l'essayer.
Au pied de l'escalier, un menu égayait le vestibule. Après l'avoir consulté, nous gravîmes les marches, puis Ceylan ouvrit la porte. Quelle charmante ambiance! L'endroit tenait davantage de la salle à manger familiale que du restaurant. Six ou sept tables habillées de toile cirée meublaient un espace biscornu, à la décoration succincte. Les fenêtres, côté rue, étaient trop hautes pour que l'on puisse voir au travers. Deux couples d'origine asiatique occupaient la table du centre. Des enfants minuscules jouaient à proximité, les joues rouges d'agitation.
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J’y avais un jour aperçu l'enseigne d'un autre restaurant chinois. |
Au pied de l'escalier, un menu égayait le vestibule. Après l'avoir consulté, nous gravîmes les marches, puis Ceylan ouvrit la porte. Quelle charmante ambiance! L'endroit tenait davantage de la salle à manger familiale que du restaurant. Six ou sept tables habillées de toile cirée meublaient un espace biscornu, à la décoration succincte. Les fenêtres, côté rue, étaient trop hautes pour que l'on puisse voir au travers. Deux couples d'origine asiatique occupaient la table du centre. Des enfants minuscules jouaient à proximité, les joues rouges d'agitation.
Une jeune femme très souriante nous plaça en dessous des fenêtres. À la fin d'un repas délicieux, notre hôtesse apporta l'addition ainsi que les amusantes gourmandises. Je dégustais la mienne lorsque mon partenaire s'exclama:
— La nourriture est aussi bonne qu'à l'autre, mais on ne peut pas dire que les messages soient plus pertinents!
Il me tendit son billet, qui disait: «Vous adorez votre emploi». Or, depuis plusieurs mois, les conditions de travail de Ceylan empiraient à tel point qu'il s’était mis à chercher ailleurs. Quant à moi, j'avais «Vous acceptez un nouveau vêtement». Au même moment, le couple à la table voisine exulta. Ils commandèrent un digestif et portèrent un toast. Une fois chez nous, je glissai les papiers dans le tiroir du buffet. Nous y déposions toutes sortes de souvenirs, billets de cinéma, photos, mots doux à coller dans notre cahier d'amour.
La semaine fut prolifique. Ceylan obtint une entrevue le mardi et reçut une réponse positive le vendredi. Ravi, il m'emmena au Jardin de l'Orignal, qui avait rouvert. Nous honorâmes le menu, goûtant d'autres mets que de coutume.
Un soir que Ceylan était à son cours d'accordéon, j'entrepris de mettre à jour notre cahier. La voix de Diana Krall me tenait compagnie. Alors que je saisissais une poignée de coupons glanés dans des biscuits, cela me frappa. Une collègue venait de m'offrir une robe jamais portée, retrouvée au fond d'un placard. «Vous acceptez un nouveau vêtement». Quant à Ceylan, maintenant oui, à peu de choses près, il adorait son travail. J'en parlai avec lui à son retour. Tenaillés par la curiosité, nous visitâmes à nouveau le modeste établissement dès le lendemain.
Nous découvrîmes que de «Un membre de votre famille vous contacte pour vous féliciter» à «Vous souffrez d'une légère grippe», en passant par «Vous croisez votre actrice préférée», toutes les prédictions se réalisaient sous quinze jours.
Qu'aurions-nous dû faire? Propager l'histoire autour de nous? La signaler à la presse? Nous pouvions déjà imaginer la petite salle à manger aux nouvelles, célèbre dans le monde entier. Finalement, nous décidâmes de conserver le secret. Il y avait quelque chose d’intrigant à anticiper ces humbles événements.
Hélas, un soir, l'euphorie vira au cauchemar. Mon mot disait: «Vous décédez en même temps que votre partenaire, tragiquement et sans douleur». Le message de Ceylan était identique. Que fallait-il faire, cette fois? Alerter les autorités, ou consulter un expert en surnaturel? Allions-nous vivre ainsi les deux dernières semaines de notre existence, dans la peur et l'incertitude?
Nous empruntâmes de l'argent à la banque et organisâmes une fête spectaculaire. Ceylan paya la salle et les chambres d'hôtel pour loger nos familles et nos amis. Je pris en charge les billets d'avion de mes proches qui résidaient en Italie. Nous avions acheté des alliances et déclarâmes nous être mariés sur un coup de tête. Ensuite, nous annonçâmes que nous partions en voyage de noces. Au lieu de cela, nous restâmes chez nous, sans téléphone et sans Internet, à nous aimer le jour et visionner des films le soir. Sur la table du salon, nous déposâmes un document qui expliquait l'affaire. Cette période, extrêmement intense, s'envola extrêmement vite.
Dix-sept jours passèrent. Désormais, nous guettions la mort à chaque instant. Chaque minute, chaque seconde était plus précieuse que la précédente. Nous vivions serrés l'un contre l'autre, mêlant larmes et baisers, murmurant des mots d'amour.
La mort ne venait pas.
Bientôt, nos amis tenteraient de nous contacter, nous croyant rentrés de voyage. Nos employeurs arriveraient à bout de patience — nous avions déclaré qu'un de nos proches était sur le point de décéder, ce qui n'était pas faux. Les jours continuaient de s'écouler.
Après quatre semaines, nous nous aventurâmes hors de notre repère, main dans la main, admirant le ciel bleu illuminé de soleil, tel une promesse inespérée de vie. Nous marchâmes jusqu'au restaurant où tout avait commencé. Il était fermé à cette heure matinale. Nous martelâmes la porte et une dame très âgée apparut — nous l’avions déjà aperçue derrière le comptoir.
— Moi tellement heureuse voir vous! Être désolée, désolée, dit-elle.
— Ah, vous êtes au courant ?
— Oui! Nous fabriquer fortune cookies ici, dans sous-sol maison. Cookies avoir pouvoir, car ici avant, des morts. Texte s’inscrire tout seul.
— Vous ne choisissez pas le texte?
— C’être ça. Machine en bas, écrire toute seule. Rigolo, hihi!
Oui, enfin, moyennement rigolo en ce qui nous concernait.
— Il y a un mois, client donner adresse sur Internet pour faire connaître cookies magiques. Esprit vouloir faire peur et dire tout le monde mourir. Vous venir avant que nous comprendre. Désolée!
Mais nous, nous n'étions pas désolés. Fous de joie, nous embrassâmes la petite dame et profitâmes de cette merveilleuse journée, celle de notre retour à la vie. Nous continuâmes de fréquenter les restaurants asiatiques par la suite, mais sans ouvrir les biscuits.
— Moi tellement heureuse voir vous! Être désolée, désolée, dit-elle.
— Ah, vous êtes au courant ?
— Oui! Nous fabriquer fortune cookies ici, dans sous-sol maison. Cookies avoir pouvoir, car ici avant, des morts. Texte s’inscrire tout seul.
— Vous ne choisissez pas le texte?
— C’être ça. Machine en bas, écrire toute seule. Rigolo, hihi!
Oui, enfin, moyennement rigolo en ce qui nous concernait.
— Il y a un mois, client donner adresse sur Internet pour faire connaître cookies magiques. Esprit vouloir faire peur et dire tout le monde mourir. Vous venir avant que nous comprendre. Désolée!
Mais nous, nous n'étions pas désolés. Fous de joie, nous embrassâmes la petite dame et profitâmes de cette merveilleuse journée, celle de notre retour à la vie. Nous continuâmes de fréquenter les restaurants asiatiques par la suite, mais sans ouvrir les biscuits.
Désolée d'avoir donné à la dame un français un peu imparfait.
photo © ://unsplash.com/photos/68pAObb_lSg