Une lourde neige se répand sur la ville. Emmitouflée dans mon manteau, je ne sens pas le froid. Je pénètre dans la station de métro, descends sur la plateforme et choisis un wagon. Alanguie par la chaleur ambiante, je ferme les yeux et profite du trajet pour me laisser bercer. Une voix annonce les arrêts. Lucien L'Allier, Georges Vanier, Lionel Groulx. Prénoms et noms dansent dans ma tête. Ernest Labroie.
Non, pas Ernest Labroie. J'ai dû somnoler. Le train s'immobilise et je vérifie par acquit de conscience. Le nom inscrit sur les panneaux est bel et bien celui de mon ami. J'hésite un instant: une telle occasion ne se présente peut-être qu'une fois dans une vie. Ou dans dix vies, pour ce que j'en sais. Rêve ou réalité, peu m'importe. Ernest habite ce quartier et il y a un moment qu'on ne s'est vus. Je me lève et bondis sur la plateforme. J'observe les indications et emprunte la sortie de la rue Delisle.
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Une lampe est allumée à l'étage. |
Le soir est tombé. De la chape neigeuse émane une lueur bleutée qui éclabousse la chaussée et les arbres. Je tourne à droite dans la rue Rose de Lima et bientôt, la maison d'Ernest apparaît — il a hérité de l'austère propriété familiale. Je sonne, puis recule sur le trottoir afin de scruter la demeure. Une lampe est allumée à l'étage.
Approchant mon visage du carreau, je reconnais la veste de velours de mon ami. Je sonne à nouveau, mais n'obtiens pas plus de réponse. Je n'aurais pas insisté, mais les étranges circonstances de ma présence en ces lieux me persuadent de le faire. Tant pis pour l'indiscrétion.
Et voilà que soudain, Ernest paraît. Il semble très ému et m'ouvre ses bras. Il m'invite à entrer. Il porte un peignoir usé par-dessus ses vêtements de coupe classique. Ses cheveux bruns, d'habitude vigoureux, sont ternes et plats. Il n'est pas rasé.
Je prépare deux chocolats chauds et nous prenons place dans le salon douillet. Ernest fait un feu. Puis, simplement, il se livre: la dépression qu'il a négligé de soigner, le morne ennui, l'obscurité dans son esprit. Le geste qu'il s'apprêtait à commettre et, au dernier moment, mon coup de sonnette, tel un gong. Nous parlons toute la nuit, pelotonnés sur le divan.
À l'aube, j'emprunte le trajet de la veille. Je sillonne le quartier, rigoureusement d'abord, à l'intuition ensuite, mais je ne retrouve pas la station. Je rentre chez moi à pied. Le matin est lumineux.
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