M'endormir [troubles]

Ça a commencé avec le rituel d'avaler un somnifère sous ordonnance chaque dimanche: j’ai fonctionné comme ça pendant des années avant que ça dérape. L’arrêt de l’alcool y a vraisemblablement contribué, un clou chassant l’autre — du moment que l'on supprime l'émotion.

C’est devenu deux soirs par semaine, puis trois… Dans la dernière année où j’ai pris des somnifères régulièrement, il y avait des semaines entières de nuits médicamentées, entrecoupées d’une ou deux nuits naturelles.

Plus j’augmentais la fréquence, plus l’acte se banalisait. Et voilà ce qui me dérangeait: il faudrait tôt ou tard élever le dosage. Or, j’étais déjà à la limite de ce que mon garde-fou pouvait tolérer. J’avais menti au médecin. Je mélangeais somnifères et tranquillisants. J’argumentais avec moi-même — une lutte quotidienne, qui commençait de plus en plus tôt dans la journée.

Une routine stricte me délivre. Éteindre les écrans une heure avant le coucher. Pas lire au lit plus de vingt minutes — partout ailleurs, mais pas là. «Oui mais je suis si bien, dans mon lit», disent certains. Est-il en mon pouvoir d’aménager le divan pour y savourer un confort comparable? oui. «Moi, j’ai des problèmes de sommeil, alors même si je sais qu’il ne faut pas, je fais des siestes le weekend». Ah bon. Moi pas. À la rigueur, une sieste assise, dix ou vingt minutes au maximum, mais en aucun cas une heure et demie, et encore moins couchée. Jamais. Je sais qu’il ne faut pas, alors je ne le fais pas. Je choisis le rétablissement.

Attention, j’ai l’air, comme ça, mais je n’ai pas de quoi me vanter. Ça ne s'est pas fait d'un jour. Dieu sait que j'ai tout essayé pour demeurer sur la route du mieux-être instantané à facture salée.

Pour m'en sortir, j’ai dressé la liste des situations justifiant absolument la prise d’une substance. En analysant avec honnêteté, je suis arrivée à... un seul résultat: le syndrome des jambes sans repos. Cela m’arrive rarement, mettons deux fois par an. Ces soirs-là, j’utilise le tranquillisant de secours que je conserve à ma portée, afin de ne pas réveiller mon partenaire s’il sommeille déjà. Oui, je lui ai demandé de cacher mes médicaments. Le lendemain, j'agis de manière à guérir. Magnésium, fer, remise en question — littéralement: dans quel domaine de ma vie ai-je besoin de bouger les jambes, d’avancer?

Donc même au bout de trois heures sans dormir, ce qui survient une fois aux cinq ans, j’irai lire sur le divan et, au besoin, ferai une micro-sieste assise le lendemain.


Parce qu'un jour, j'ai décidé que mon rétablissement passait avant tout. Oui, c'est difficile à comprendre. Oui, c'est à contre-courant, respecter son sommeil.

Se réveiller en forme pourtant, quoi de plus prodigieux? Quoi de plus simple, de plus gratuit? Et quel cadeau pour la santé physique et mentale!

Certes, cela nécessite de gérer les demandes persistantes de personnes incrédules. J'ai l'habitude avec l'alcool: "Même pas UN verre de vin ? Même pas ce soir ? Il faut vivre, un peu!" Ah, mais vous m'enlevez les mots de la bouche!

Imaginons que je gagne le Prix Nobel. Réussirai-je à m’endormir la veille de la cérémonie? Peut-être pas, mais je serai ravie d'expliquer la raison de mes cernes dans mon discours d’acceptation. Il se pourrait que je ne sois pas là, sans elles.


photo © Erik-Jan Leusink