Suicide-Action [section Horreur]

Pour une somme modique, les agences s’occupent de tout: circonscription du terrain, nettoyage, gestion des restes — avec option déchets biomédicaux, incinération, ou recyclage en engrais (de loin la plus populaire).

Il y en a qui sautent à l’heure de pointe, public inclus. La firme fait payer les badauds; après tout, il s’agit d’un spectacle comme un autre. Ça ne coûte pas forcément moins cher à la personne concernée, car parfois l’opération nécessite de bloquer la circulation, pour ne citer qu’un exemple. On peut préférer l’alternative intimité. Le top du luxe: s’élancer de l’une des sept merveilles du monde, sans foule, au coucher du soleil. Chacun ses goûts (ou ses besoins).

Au début, les gens se sont précipités du Grand Canyon, du Machu Picchu, de la statue du Christ Rédempteur. Peu à peu, il a fallu faire preuve d’originalité: d’autres lieux se sont ajoutés. L’agence S’éteindre enfin s’est rendue célèbre avec son safari aussi vrai que nature. On finit goinfré de fentanyl dans les boyaux d’un lion, d'un léopard ou d'un guépard (selon la préférence indiquée, et sans garantie). Des compagnies sur l’internet clandestin offriraient de nourrir d'authentiques tribus cannibales. Ceci dit, des formules plus rustiques persistent, comme bondir depuis les bords escarpés des Calanques, dans le Sud-Est de la France; quoi de mieux que l’eau claire et l’enveloppant chant des cigales pour ultime environnement? Je vous le demande.


Après avoir été crainte, vilipendée, dissimulée et honnie, la mort prend sa revanche, ce qui comporte pas mal d’avantages. Le personnel du métro subit moins de traumatismes; idem pour les passants qui cheminent au pied des gratte-ciel. Les proches cautionnent: au lieu d’un trépas incompréhensible et sans adieu, il se planifie des célébrations au cours des journées précédant l’acte.

Des instances spirituelles, écologiques et politiques ont bien tenté d’enrayer le processus, mais ont baissé pavillon face à l’accablement collectif, sans compter l’engouement pour le mouvement You Don’t Follow, lancé par une poignée d’influenceurs à la traîne récupérant des followers par le biais de spectaculaires adieux.


Quant à moi, je tiens simplement à ne pas me rater. Pas question qu’un chien me tire de mon sommeil chimique dans la forêt enneigée et qu’on m’ampute de deux jambes congelées. Certes, il existerait une chance sur un milliard que je me relève mentalement et publie un best-seller dont on tirerait un film avec Daryl Ruffalo; plus vraisemblablement, je moisirais dans un centre d’accueil pour adultes en limitation physique, dans lequel (hypothèse haute) je créerais un groupe de lecture ou (hypothèse basse) je réussirais quand même à m’anéantir, à force d’économiser sur les comprimés anti-douleur.

J’ai négocié que l’on m’aide en cas d’hésitation, le moment venu. Égoïste, il est vrai. J’aurais pu verser ce gros supplément à une association avérée efficace, oui, il s’en trouve. Mais bon.

Grâce à moi, la compagnie a officiellement ajouté l’option Petite Poussée à son programme. Ma vie aura servi à quelque chose.





photo © Midsommar, Ari Aster