Ni nutritionniste, ni médecin, ni diététicien, mais un peu tout ça à la fois

Enfin, j’allais voir clair à travers ce fatras de régimes, privations, systèmes biscornus, conseils étranges et autres trucs qui fonctionnaient quelques jours avant que je m’engouffre à nouveau dans de mauvais réflexes alimentaires. Il était temps.

Celui que l'on nommait le docteur Selza se spécialisait en perte de poids. Ni nutritionniste, ni médecin, ni diététicien, mais un peu tout ça à la fois, le praticien garantissait des résultats durables, entre autres grâce à son propre cocktail faisant office de substitut de repas. Quoi! substitut de repas! ne venais-je pas de dire que je souhaitais en finir avec les stratagèmes inefficaces? Bizarrement, je plaçais mes derniers espoirs auprès de ce docteur. Naïve? évidemment. Désespérée? oui!

Malgré que je me sois présentée quelques minutes avant l’heure, une dame patientait dans la salle d’attente (une zone destinée exclusivement aux clients du docteur Selza).

une zone destinée exclusivement aux clients du docteur Selza

Serait-il en retard d'une consultation au complet? pensais-je en fronçant les sourcils. Je pouvais accepter cela, hormis si le délai était dû, mettons, au manque de ponctualité des personnes précédentes. Longue et maigre, la dame pouvait avoir soixante-dix ans. Elle était vêtue d’une tunique gris clair qu’elle portait élégamment sur un pantalon blanc. Son visage à la peau diaphane affichait une authentique douceur.

— Première fois? m’interrogea-t-elle.
— Oui, répondis-je en songeant soudain qu’elle accompagnait peut-être quelqu’un qui se trouvait avec Selza en ce moment.
— Vous voulez perdre combien?
— Au moins vingt kilos… vingt-cinq, en fait. J’aimerais m’alléger de vingt-cinq kilos.
— Moi, j’ai perdu soixante-deux kilos, dit la dame.
— Waouw! Félicitations…
— Oui, sauf que… regardez où ça m’a mise.

Je croyais qu’elle faisait allusion à sa minceur extrême et songeai qu’elle était peut-être devenue anorexique, mais elle claqua des doigts en un bruit sec et paf! elle disparut.

Un peu plus tard, la porte s’ouvrit sur le docteur (je le reconnaissais de ses podcasts, articles et vidéos YouTube). Il s’écarta pour laisser passer un homme de corpulence un peu enveloppée, aux cheveux auburn et qui arborait une mine rubiconde réjouie. Ce dernier traversa la salle d’attente en direction de la sortie. Encore éberluée par la disparition de l’élégante dame âgée (hallucination holographique auto-censurée?), je suivis machinalement le client du regard, puis redirigeai mon attention sur le docteur.
Qui se méprit en déchiffrant mon expression.

— Ne vous en faites pas, chacun avance à son rythme…

Que sous-entendait-il exactement?

— Euh, non, je viens…

Prise d’une inspiration subite, je changeai de ton.

— J’ai besoin de savoir, concernant l’une de vos anciennes patientes. Une dame plus âgée, très mince et élégante… je pense qu’elle est décédée.
— Pardon?
— Une de vos patientes. Âgée. Elle a perdu soixante kilos.
— C’est pour ça que vous avez pris rendez-vous? Vous êtes journaliste? Je n’ai pas de temps à dilapider avec ce genre d’inquisition. Je vous prie de quitter mon cabinet avant que j’appelle la sécurité.

M’inspirant de ce que dégageait la belle femme évaporée, je tournai les talons et ne me représentai jamais.



photo ©  hannah grace