Noces de paille

La jeune veuve s’était dotée de plusieurs rituels hebdomadaires: cinéma le lundi, lecture le mardi (pas une heure volée ici et là comme les autres jours: non, douche et pyjama dès le retour du travail, l’émission de blues à la radio pour l’ambiance musicale, et un plat acheté chez le traiteur en guise de souper). Le mercredi, Mélanie socialisait. Le jeudi, de nouveau soirée film, à la maison cette fois. Dépendamment des propositions, elle partageait son weekend entre famille, amis, et activités telles qu’un tour dans les magasins, une brocante, une exposition. Enfin, elle consacrait le septième jour de la semaine à Joël.


D’emblée, Mélanie avait tracé des limites. Il ne fallait pas que cette délicieuse fréquentation grignote le reste de son existence. Par ailleurs, le choix du dimanche rendait plus attrayante cette journée souvent imprégnée de retour au travail. Mélanie y songeait pendant la semaine, tentée, des fois, de précipiter les retrouvailles — juste pour quelques minutes. Elle résistait, désireuse de conserver sa santé mentale.


Seule Monique, la maman de Joël, avait manifesté de la compréhension envers le projet de sa belle-fille. Audacieuse, libre-penseuse, elle était donc l’unique personne à savoir que la manœuvre s’était concrétisée. Mélanie avait dû requérir un permis spécial à la commune, délivré sur présentation du document notarié signé du vivant de son époux. L’exécution lui avait coûté un bras, par contre le résultat en valait la peine. Il pesait raisonnablement lourd: Mélanie était capable de l’asseoir à table ou sur le divan, et de le coucher dans le lit. Bien entendu, la jeune veuve comprenait que cela puisse épouvanter. Mais, et les momies égyptiennes? pour elle, cela se résumait à des questions de culture et d’époque. On mange les vaches et pas les chiens. On s’affiche en robe décolletée avec sa biologie masculine, alors que les Écossais arborent fièrement kilt et chemise à jabot depuis la nuit des temps.

Dimanche dernier, Mélanie a regardé un épisode de Columbo en compagnie de Joël. C’est là que la jeune femme a songé à reprendre contact avec la praticienne: cette dernière pourrait-elle intégrer à la main de son époux un genre de poche chauffante, du type de celles que l’on utilise pour soulager les douleurs musculaires? Ainsi, lorsqu’ils se tiendront la main, côte à côte sur le divan, l’illusion sera parfaite.



photo © Morgan Vander Hart