La dame rousse pénétra dans la boutique et se dirigea droit vers la caisse. Après nous avoir salués, elle déposa une boîte sur le comptoir et déballa un affreux bibelot. Je reconnus l'une de nos horloges dorées. Tout en elles symbolisait le mauvais goût, des fioritures mal peintes jusqu'à la confection de plastique imitant le métal. Le bureau-chef nous en avait assigné trois, dont une à exposer en vitrine, ce qui fait qu'elles s’étaient vite vendues — en dépit d’un rapport qualité-prix déplorable.
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Je reconnus l'une de nos horloges dorées. |
La pendule de la cliente fonctionnait mal. Apparemment, les aiguilles accéléraient et décéléraient sans raison. Un coup d'ongle sur la vitre suffisait à régulariser le mécanisme, mais cela ne durait pas. L'insertion de piles neuves n'avait pas amélioré la situation. La cliente espérait échanger son horloge, cependant nous n'en possédions plus; elle fut contrainte de choisir autre chose.
L'article défectueux appartenant à un assortiment obtenu à bas prix, nous ne pourrions le retourner au fournisseur. Mon patron me l'offrit.
— Merci! dis-je. C’est Marshall qui va être surpris!
Je regagnai la maison en milieu d’après-midi et plaçai mon acquisition sur la table, avant d’en ajuster le cadran. J’entrepris ensuite de classer des photos imprimées et conservées pêle-mêle depuis plusieurs mois. Le mariage de ma nièce, nos vacances à Prague... Des souvenirs de notre hôtel et de ce que nous y avions fait affluèrent en moi comme la rivière Vltava sous le pont Charles.
— Merci! dis-je. C’est Marshall qui va être surpris!
Je regagnai la maison en milieu d’après-midi et plaçai mon acquisition sur la table, avant d’en ajuster le cadran. J’entrepris ensuite de classer des photos imprimées et conservées pêle-mêle depuis plusieurs mois. Le mariage de ma nièce, nos vacances à Prague... Des souvenirs de notre hôtel et de ce que nous y avions fait affluèrent en moi comme la rivière Vltava sous le pont Charles.
Les aiguilles indiquaient à peine quinze heures trente quand Marshall rentra. Je lui sautai au cou et l'emmenai dans la chambre pour une sieste providentielle. Un peu plus tard, je l’interrogeai sur son retour anticipé. Mon regard oscilla de son air étonné au cadran de l’horloge dorée : elle s’était arrêtée.
La pendule aurait atterri dans le recyclage si nous n'avions reçu des amis au soir. Comme moi, Cosima travaillait dans un magasin d'accessoires décoratifs. Elle connaissait bien mes goûts; le bibelot ne manquerait donc pas de la surprendre. Mais mon mari conçut un succulent repas, nous partageâmes de passionnantes conversations — et l'objet passa totalement inaperçu. Lorsque Geoffroi et Cosima s'éclipsèrent, ma montre marquait vingt-trois heures; la pendule affichait seulement vingt heures trente. Il n’y avait décidément rien à en tirer.
Le lendemain, je m’imposai un brin de ménage. Je n’aimais pas trop ça, malgré la fierté que j’éprouvais à atteindre la poussière embusquée dans les recoins les plus rébarbatifs. Je jetai un œil sur le vilain objet en nouant le sac-poubelle. Les aiguilles tournaient à toute allure.
Et si…? Le cœur battant, je réglai la minuterie du four sur une demi-heure, puis m’installai devant mon puzzle. Quand la sonnerie m’interrompit, je contrôlai l’horloge: l'aiguille des secondes était immobile. Quoi de plus vrai? Je ne voyais pas le temps passer. La pendule fonctionnait parfaitement — elle mesurait le temps psychologique.
Quel outil extraordinaire! Qu’allait-il se produire désormais? Mon amour découvrirait-il à quel point la science-fiction m'ennuyait? Échangerions-nous des clins d'œil complices lorsque l’horloge s’emballerait, en présence de certains membres de la famille? Dommage qu'elle soit si laide, pensai-je en la remisant dans le placard.
Publié en anglais dans l'anthologie Dark Lane Quarterly Collaborative, Avril 2015
Photo © Liviu C.