Dans l'Aquarium

— Je l'ai gagné il y a quelques années, à une fête foraine, dit Rossler avec fierté.
— Ah bon. Je ne pensais pas qu'ils pouvaient vivre si longtemps, dit Arguedas. Vous changez l'eau souvent?
— Toutes les semaines. Ça saute aux yeux qu'il aime ça.
— Comment avez-vous fait pour trouver un aquarium aussi vaste? Ils en avaient sur place?
— Oui, je l'ai acheté à la fête. J'avais une fourgonnette à cette époque, c'était pratique.


Arguedas se gratte l'oreille puis tire sur son cigare.
— C'était une troupe itinérante, non loin de Sete Lagoas, juste?
— Oui. Comment le savez-vous?

Arguedas avance d'un pas. Il domine largement l'autre, qui comprend soudain à qui il a affaire. Tremblant comme une feuille, Rossler demande:
— C'était vous, n'est-ce pas?
— Peut-être bien que oui, peut-être bien que non.
— Écoutez, je ne sais pas ce que vous voulez, ni comment vous avez fait pour remonter jusqu'à moi, mais je propose qu'on en discute, comme deux hommes civilisés.

Le rire lugubre d'Arguedas ricoche sur les murs du salon.
— Civilisés? Avez-vous bien regardé ce qui flotte dans votre aquarium, enfermé entre quatre vitres, avec à peine assez de place pour se retourner?

Rossler n'a plus l'air aussi fier.
— On me l'a donné. Je l'ai gagné! Il est à moi.
— Vous n'avez jamais songé à le libérer?
— C'est que... avec sa peau toute fripée, et puis il a tellement gonflé... je ne pense pas qu'il pourrait reprendre une vie normale.
— Ah non? Moi, je crois que c'est toi qui ne vas pas reprendre une vie normale.

Et pan! Arguedas fait feu. Rossler s'écroule. Le visiteur tire une seconde fois et l'aquarium se brise en mille morceaux. Dans un dernier souffle, l'homme boursouflé crache un peu d'eau.



photo © Hao Rui