Quel affreux petit père Noël! Pour commencer, il faut le savoir, qu'il s'agit du père Noël. Au lieu du traditionnel costume rouge, une sorte de cape couleur émeraude l’enveloppe de la tête aux pieds. Cette excentricité a-t-elle déclenché l’affaire?
Voyant dans son curieux accoutrement une chance de s'affranchir, il aurait sauté le pas. Cependant, la longue barbe blanche qui lui descend jusqu'à la moitié du corps, la crosse qu'il tient sagement devant lui et les minuscules gants vermillon, voilà qui ne prête pas à confusion.
Toujours est-il qu'au 31 décembre, lorsque Calixte décide de ranger les décorations, elle ne trouve pas son père Noël. Au début, elle ne s'en rend pas compte. Elle se contente de ramasser les ornements à mesure qu'ils bourgeonnent dans son champ de vision. La chaussette rehaussée de flocons, offerte par Héléna près de dix années plus tôt. Le bonhomme de neige dodu, en porcelaine. La guirlande constituée de poches de tissu vert, brun et rouge. Sur la pointe des pieds, elle attrape dans le placard la boîte affectée aux garnitures saisonnières. Bientôt, chaque bibelot est enveloppé dans son papier de protection et agencé dans la caissette. Il semble à Calixte que le mois d'avant, au cours de l'opération inverse, le coffret était plein à craquer. Sans doute a-t-elle éliminé quelque chose depuis; seulement, elle ne se souvient plus de quoi. Dans ce cas, elle a vraiment bien fait de s'en débarrasser.
Un peu plus tard, en passant l'aspirateur, Calixte soulève le bas de la courtepointe qui recouvre le divan. Mais... quelle surprise! Son pauvre père Noël repose là, par terre. Ouf, il n'a rien de cassé, évalue-t-elle en le prenant entre ses doigts. Aucun éclat ne dépare sa drôle de robe verdâtre. Calixte imagine sa chute. Tombé au sol, poussé du pied par inadvertance et, comme si cela ne suffisait pas, oublié lors du ramassage. Elle embrasse le bibelot puis le dépose sur la desserte, le temps de terminer son ménage. Après avoir réussi à encastrer l'aspirateur dans la penderie, elle n'y pense plus.
Quand, pendant la soirée, elle se remémore le petit sujet, il a disparu. Calixte ne se rappelle pas l'avoir rangé. Par acquit de conscience, elle vérifie. Pas de père Noël. Mais où est-il? Calixte regarde sous la desserte, derrière le divan, dans le frigo. Elle a besoin de repos. Un bain, un roman policier, puis dodo, prescrit-elle. Au moment de plonger dans la baignoire fumante, Calixte aperçoit la statuette, confortablement installée sur un paquet de vêtements dans le panier à linge. Ça alors. Il ne perd rien pour attendre, se dit-elle en entrant dans l'eau. Une demi-heure plus tard, Calixte abdique en découvrant la porcelaine rebelle sur son oreiller.
— D'accord, petit père, tu as gagné, souffle-t-elle. Tu ne veux pas aller dans ta boîte, c'est ça? Simplement, ne m'effraie plus en me donnant l'impression que tu mènes ta propre vie.
Calixte raccompagne le bibelot au salon. Elle le poste entre l'aloès et le géranium citronné, une station qui visiblement lui convient, car le chenapan se montre désormais raisonnable.
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