Ma Petite Chambre en Vendée

En dépit de la multiplication des options de logements abordables, j’étais resté fidèle à Madame Zinaïda. À raison de deux séjours annuels de trois nuits, j’avais tissé une relation avec la dame âgée, qui dissimulait sa gentillesse derrière une façade stricte, limite bourrue. Huit ans quand même: je suis un homme d’habitudes.

J’aimerais être un homme d’habitude, au singulier. Parfois, je me transformerais en femme. Je prendrais plaisir à me vêtir différemment, j’étudierais la réaction des gens. J’avais un jour croisé un individu aux cheveux coupés à ras; il arborait une barbe et une moustache discrètes, à la Steve Jobs. D’ailleurs, il portait un pull à col roulé noir. Et bien, dessous, c’était jupe droite jusqu’aux genoux, noire, avec des leggings et des Doc Martens de la même couleur. Et ça passait parfaitement: à part moi, personne ne le regardait. Mais je dérive de mon histoire. Pardon.

Je retrouvai l'aimable petite pièce

Oui, je m’offrais chaque année deux courts séjours en Vendée, consacrés exclusivement à ces occupations: promenade, lecture, et réflexion — parce que j’en avais besoin. Loin de Nathalie, loin des enfants; l’occasion d’une sorte de pause, pendant laquelle je restais joignable en cas d’urgence.

Cette année-là, Zinaïda m’accueillit avec affabilité. Son sourire révélait la douceur que j’y avais vue poindre au fil du temps. Le logement ne proposait qu’une seule chambre en location et je retrouvai l'aimable petite pièce, la fenêtre à carreaux cernée de rideaux tissés rouge et blanc, le bureau de bois et le lit si confortable. Je déballai mes affaires. Pas grand-chose en réalité, à peine une tenue de rechange, des produits de soin corporel, un livre et mon journal intime. Mon téléphone pour unique écran. Ensuite je descendis et, conformément à la tradition, je demandai à Mme Zinaïda si elle souhaitait se joindre à moi aux alentours de vingt-deux heures, pour un pousse-café. Elle accepta. Oiseau de nuit, la dame se couchait tard, se levait tôt, et accomplissait une sieste entre quatorze et seize heures. Je connaissais.

J’avais dîné avant d’arriver, et je m’installai dans le boudoir adjacent au vestibule, un minuscule arrangement composé d’un divan et de fauteuils réservés aux visiteurs. Je scrutais chaque fois les étagères garnies de livres — par quel concours de circonstances les ouvrages avaient-ils atterri ici? Ce Danielle Steel, était-ce un oubli de précédents vacanciers? Ou appartenait-il à la collection personnelle de Zinaïda? À moins qu’elle l’ait reçu en cadeau? Et ce titre de Zygmunt Bauman, alors? Se pouvait-il qu’une même personne ait lu et apprécié deux auteurs a priori si différents? J’adore plancher sur ce type d'énigmes.

Quelques journaux traînaient sur un coin de la table basse. D’ordinaire, je me passe de leur lecture, mais la gazette d’un village, c’est parfois sympa à feuilleter. Les nouvelles sont moins glauques. Le lectorat trouve de l’intérêt au rassemblement hebdomadaire de confection de compote ou à la naissance de jumeaux. Pas besoin d’avoir assassiné ses voisins ou de jongler avec les prix Nobel pour faire la une. Page quatre s’étalait un petit hommage à ma logeuse. Une photo, probablement prise par quelqu’un qui ne la connaissait pas très bien, la présentait sous un jour austère. L’auteur rappelait les origines russes de la dame, son arrivée en France cinquante-trois ans plus tôt, sa profession de chimiste. S’il fallait en croire l’article, Mme Zinaïda était décédée dans son sommeil, dix jours auparavant. Aussi ne fus-je pas étonné lorsque, contrairement à ce que nous avions convenu, elle ne me rejoignit pas pour le pousse-café.



Photo © Jonathan Borba