Quelques Gouttes de printemps

Au début, Ashley a dormi dans la chambre d'amis. Éloignée de ses repères, la jeune veuve a connu le luxe de commencer sa journée en se demandant où elle était, une fraction de seconde avant son coup de poing quotidien dans le ventre—la souvenance du départ de son époux. À présent qu’elle a réintégré la chambre principale, Ashley ne tire plus les rideaux le soir. Au matin, le feuillage abondant des arbres découpe un rectangle de nature sur le mur blanc.

Une nouvelle journée s’amorce. Dans la cuisine, Ashley allume la plaque sous la bouilloire. Elle s'habille, puis, accompagnée de sa tasse de café et d’une soucoupe de dattes, elle se met à la tâche. Elle ne veut rien conserver qui lui porte à l’âme ces coups si douloureux. En revanche, il ne faut pas qu’elle regrette ses choix par la suite. Pour cela, elle s’immerge dans le souvenir d’Abner, une section de l’appartement à la fois. Hier, manipulant des vêtements, elle s’est remémoré des épisodes en pleine conscience. Ça lui a fait du bien. Elle a pleuré, et elle a ressenti de la gratitude.

Aujourd’hui, la jeune veuve souhaite défricher le bureau de son mari. Dans l'entrée, elle dresse des tas. Elle donnera une partie des ouvrages aux proches d'Abner, en fonction de leurs goûts. Certains iront à la bibliothèque et d’autres, à un organisme de bienfaisance. L'équipement informatique, lui, ira à son neveu. Elle n'a pas le courage de jeter les enveloppes et les cartes postales collectionnées en raison de leurs timbres-poste figurant la nature.


Maintenant, Ashley éprouve le besoin de s’aérer. Elle mange un peu, puis hisse sur ses épaules un sac à dos rempli de livres. Une fois dehors, elle réalise qu'il pleut. Elle n'a emporté ni imperméable, ni parapluie; heureusement, la mission apparaît déjà, au coin de la rue. Ashley presse le pas. Autour d'elle, la vie continue tranquillement. Deux personnes conversent, adossées à la vitrine de la buanderie. Un magasin expose le dernier film de Déborah Cason, la cinéaste préférée d'Ashley.

Alors elle comprend qu’elle va y arriver. Oui, la vie continue. La jeune femme ralentit—au fond, elle apprécie le contact de la pluie tiède sur ses joues. Au retour, elle s'offrira le film. Et elle gardera les timbres. Elle éliminera les doubles, et trempera les enveloppes et les cartes dans un peu d’eau froide, afin de récupérer les précieux petits dessins. Elle s'y appliquera en écoutant de la musique; il faudra sûrement plusieurs soirées. Elle rangera les timbres dans la boîte de merisier. Il lui suffira de soulever le couvercle et d’en examiner une poignée pour s’imaginer que son époux les regarde à ses côtés.




Photo ©  Anastasia Zhenina