Connie et le taxi

Surprise, Connie s'interrogea. Le coup de klaxon lui était-il destiné? Voilà longtemps qu'une telle chose ne s’était pas produite. Avant, oui, les voitures s'arrêtaient pour la laisser traverser.

Le coup de klaxon lui était-il destiné?

Les ouvriers sifflaient, braquant leur regard sur sa poitrine volumineuse ou sur ses jambes galbées. Au restaurant, les serveurs se pressaient autour d'elle, attentifs à ses moindres besoins. Quarante années s'étaient écoulées depuis.

Certes, Connie avait toujours de l'allure, et à l'heure actuelle, elle se permettait des artifices qu'elle n'aurait pas envisagés à l'époque. Le manteau de vison en témoignait, ainsi que sa chevelure argentée entretenue avec soin par le coiffeur.
D'autres souvenirs défilèrent, la ramenant inévitablement à la nuit du taxi. Aujourd'hui encore, elle se rappelait les paroles du chauffeur:

— Vous rentrez chez vous?
— Euh... oui.
— Vous venez de chez votre copain?
— Oui.
— Vous habitez seule?
— Oui.

Comme ce questionnement brutal l’avait mise mal à l’aise! Connie s'en était voulu d'avoir répondu. Craignant de susciter le courroux, elle n'avait pas osé protéger son intimité.

— Vous n'habitez pas ensemble? Vous n'êtes pas mariés?
— Non, pas encore, avait-elle répondu.
— Ah, vous allez vous marier? Vous portez une bague?

Non, Connie ne portait pas de bague. Munie de son expérience actuelle, elle aurait esquivé les questions sans difficulté, les transférant sur son interlocuteur, ou lui demandant le motif de cet intérêt: étudiait-il la psychologie? Au lieu de cela, elle imagina une diversion.

— Assez! Assez... je ne me sens pas bien.
— Vous allez être malade? Pas être malade dans la voiture.

Il s'arrêta le long du trottoir. Connie ouvrit la portière et se pencha, faisant mine de vomir. Le quartier résidentiel était désert à cette heure de la nuit. Quand le chauffeur constata le subterfuge de sa passagère, il s'introduisit à l'arrière du véhicule, forçant la jeune femme à se déplacer sur la banquette. Il enclencha le verrouillage automatique. Stupéfaite, les poumons bloqués, Connie ne cria pas. Ses membres engourdis par la panique refusèrent de bouger. Dix minutes s'écoulèrent, qui resteraient gravées à jamais dans sa mémoire.


Connie soupira, réintégrant le présent. Qui avait klaxonné? Se retournant, elle identifia un taxi. Au volant, un homme lorgnait dans sa direction. Comme dans un rêve, Connie sortit un pistolet de son sac à main. Elle fit feu sur le conducteur. Ensuite, elle prit à droite dans la rue Audubon et repéra l’établissement. Elle arriverait pile à l'heure, remarqua-t-elle en se dirigeant vers l'enseigne colorée. Un sourire satisfait apparut sur ses lèvres.




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