V.I.P.

Ouf! Pas facile de manigancer une surprise pour un mari qui travaille à domicile. Le voilà parti pour le cinéma. J'ai prétexté la fatigue, ce qui me permet d'échapper à un documentaire sur la haute couture, ainsi que d'achever mon projet.

Tel un voleur, je m'occupe à scruter son domaine à la recherche de son carnet d'adresses. Nous en partageons un, mais il n'est pas à jour. Il traîne en permanence sur mon bureau, et je sais que Richard n'y touche jamais.

Voyons voir. L'écran d'ordinateur est perché sur son étagère. Celle-ci contient une pile de blocs-notes de différentes couleurs, et un cadre métallique arborant une photo de nous. À droite du moniteur, deux récipients cylindriques débordent, l'un de stylos, l'autre d'accessoires: agrafeuse, cartouches d'encre... marque-pages... oh, un assortiment de pièces de monnaie... je m'égare. J'usurpe mes droits! Après avoir tout remis en place, je poursuis mon exploration. À gauche de l'ordinateur, Richard a classé des dossiers. Factures à envoyer ou en attente de paiement, coordonnées des clients, dictionnaires... du mur à l'écran, le format des documents diminue. Vais-je dénicher le bon carnet? J'atteins l'avant-dernier. Il renferme des mots en français et leur traduction en wolof. Dans le dernier registre, Rich inscrit quotidiennement une raison de se réjouir. Comme je suis indiscret! Honteux, j'envisage d'abandonner. De toute façon, j'ai passé la zone au peigne fin.

Je me lève et prépare un chocolat chaud.

À moitié découragé, je me rabats sur la commode de l'entrée. Clés, monnaie, cartes à jouer, bonbons s'entassent dans un désordre sans complexe. Là! Je le vois. Un calepin violet, une sorte de cuir velouté. À l'intérieur, les noms sont écrits en lettres capitales. Adresses postales, courriels, numéros de téléphone: mon projet ressuscite. Je m'installe à la table et entreprends de recopier les informations sur les enveloppes, une besogne entamée plusieurs jours auparavant à partir du répertoire commun. J'ai décidé de faire ça solennellement. Soixante ans, ça se célèbre! Les enveloppes affichent un élégant vert forêt, et les invitations, un vert pomme.

Il reste beaucoup de noms. Hormis quelques prénoms, la plupart ne me disent rien. J'ignorais que mon époux connaissait tant de gens. Mène-t-il une double vie? J'ai complété une douzaine d'invitations, et le malaise ne fait qu'augmenter. Pour une fois, cajoler notre petit hérisson Metin ne me déride pas. Je songe à nouveau à renoncer. Après avoir vérifié l'heure sur l'horloge murale, je me lève et prépare un chocolat chaud. J'ai besoin d'un remontant! Je mets une copieuse quantité de chocolat, celui de la réserve à croquer, pas celui dont nous nous servons pour cuisiner. J'ajoute de la crème. Richard n'est quand même pas là pour m'espionner! Réconforté, je poursuis mes réflexions sous un autre angle. Mon époux est du genre conservateur. Il se peut qu'il n'ait plus contacté certains de ces individus depuis longtemps. Et, au moins, je les rencontrerai. Je termine ma tâche et file à la boîte aux lettres, au bout de la rue.


Trois semaines plus tard, malgré un nombre restreint de confirmations, l'appartement est plein à craquer. Je suis rassuré: les amis de Rich sont charmants. Visiblement ravis d'être là, ils collaborent au service et racontent des anecdotes amusantes, en particulier liées aux métiers de la restauration. À la fin de la soirée, je comprends la raison de l'infime perplexité sur le visage de mon cher mari. Richard évoque le répertoire ramassé sur un banc dans le but de le restituer à son propriétaire. Heureusement qu'il appartenait à une personne adorable. Dommage que celle-ci n'ait pas reçu d'invitation!



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