Intégral

— Votre fille aura un beau gâteau, dit la boulangère.
La cliente remercie et sort du magasin en emportant son paquet.

— Oui?
Faustine émerge de sa rêverie.
— Bonjour, je voudrais un petit pain coupé, s'il vous plaît.
— Oui, mais quel pain? Blanc, intégral, aux noix?

Quel pain? Blanc, intégral, aux noix?
Déconcertée par le ton abrupt, Faustine donne une réponse au hasard.
— Euh, blanc!

Pour éviter d'impatienter davantage son interlocutrice, elle a saboté sa commande... Rassemblant son courage, elle lance:
— Excusez-moi!

La commerçante se tourne vers elle.
— Je vais prendre l’intégral s'il vous plaît. J'ai changé d'avis.

Visiblement, cela n'arrange pas la dame. Une moue fâchée durcit sa physionomie. Elle vient pourtant à peine de prélever la miche dans l'étalage. Faustine vérifie derrière elle. Personne. La boulangère vivrait-elle une mauvaise journée? Dans ce cas, comment expliquer sa gentillesse envers la cliente précédente? Pour mériter un peu de courtoisie, faut-il venir tous les jours? Acheter des gâteaux?

À moins que quelque chose en elle rebute la commerçante. Habillée avec goût, soignée, Faustine offre l'apparence d'une femme bien dans sa peau. Cela pourrait suffire, réfléchit-elle, si la dame jongle quotidiennement avec les livraisons et les factures, et qu’elle élève seule ses enfants.

Voilà le pain sur le comptoir, emballé dans son sac de papier. Faustine sourit.
— Merci beaucoup, dit-elle aimablement. Je vous dois combien?
— C'est trois vingt-cinq.

Le ton s'est adouci. Faustine sélectionne rapidement la monnaie exacte.
— Voici. Maintenant madame, je vous souhaite une bonne journée, dit-elle en insistant sur le mot «bonne».
— Pour vous aussi madame, une bonne journée, répond la commerçante avec un vrai sourire.

Gagné, pense Faustine en quittant la boutique.



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