Le Salon rouge

Calfeutré dans ma chambre, absorbé par le livre, je passe une ronde. Je sais, c'est mal — en particulier ces temps-ci. Je savoure encore quelques pages, désormais imprégnées de culpabilité. Et voilà qu’advient ce que je redoutais: le rythme de la grande horloge se précipite.

Je fonce à la cave. Derrière mon bureau, je manipule l'appareil de façon à récupérer les pensées de la journée. Bientôt celles-ci défilent sur l'écran, en mode «avance rapide». Des réflexions sur l'obésité, entrecoupées d'obsession alimentaire. Une forte odeur de détresse se dégage de la machine. Puis les rides, la vieillesse et le célibat s’enchaînent, éclaboussés d'angoisse. La sonnerie d’alarme retentit. J'enclenche plusieurs leviers, sans réussir à dissiper les émanations.

Je manipule l'appareil de façon à récupérer les pensées de la journée
Catastrophe, des souvenirs familiaux envahissent le système en temps réel. Je ne parviens pas à en atténuer l'amertume. On dirait que le mécanisme ne fonctionne plus. Une fracassante détonation interrompt soudain mon travail.

Je grimpe l'escalier quatre à quatre et je la vois. Une grosse bille métallique, enfoncée dans le mur. Une lueur rouge suinte sous la porte du salon. J’ouvre d’une main tremblante. Le papier peint et les tableaux, le divan, les fauteuils, le tapis — tout est rouge. Une substance grenat s’étend sur la baie vitrée. Au travers de ce filtre, je distingue l’extérieur: une table, une arme à feu.

Les volets tombent lentement, plongeant le salon dans l’obscurité. Déjà, la température décline. Tandis que les battements de l'horloge ralentissent, j'allume une lampe et me réfugie sur le divan. À l’abri d’une couverture, j'attends la fin.


photo © https://unsplash.com/photos/AZJHITcDC4c