Ma Tache de renaissance

Les autres passagers me jetaient de fréquents coups d’œil. Je les entendais penser: «Pourquoi se montre-t-elle avec cet effrayant bandage autour de la tête?». Je dirigeai mon attention sur le paysage défilant par la fenêtre, imaginant l'intérieur des chaumières dont j'apercevais les lucarnes bordées de fleurs. La campagne anglaise invitait au calme. Probablement pour cette raison, j'attrapai mon sac et mis pied à terre à la minuscule gare de Griffeltown. Après tout, j'étais en convalescence, mais aussi en vacances. J'arriverais chez Angela le lendemain.

Je marchai une vingtaine de minutes sur une route qui sinuait au milieu des pâturages, avant d'atteindre une maisonnette. Une enseigne rouge proposait une chambre pour les voyageurs. Au moment où je touchai le heurtoir, une goutte de pluie atterrit sur mon nez, bientôt suivie de dizaines d'autres. Je n'avais emporté qu'un léger imperméable, croyant passer le plus clair de mon temps calfeutrée chez mon amie. N'obtenant aucune réponse, je frappai à nouveau. L'averse achevait d'obscurcir l'après-midi et humidifiait mon pansement. La porte n'étant pas fermée à clé, je pénétrai dans la maison et appelai.


— Bonjour!

Intriguée par le silence, je visitai une cuisine, une salle à manger et un salon. Ce dernier servait visiblement de retraite aux propriétaires, car un paneton à broderie traînait devant le divan, entre deux repose-pieds fripés. M'immisçant davantage dans la demeure muette, je gravis l'escalier qui menait à l'unique étage. Au lit défait et au panier à linge débordant de vêtements, j'identifiai les quartiers de l'habitant. La deuxième chambre, adorable, immaculée, incluait un lavabo; sa fenêtre donnait sur un jardin aménagé.

Des élancements dans la partie droite de mon visage me rappelèrent à l'ordre. Assise sur le lit, je dénouai consciencieusement mon bandage, qui recouvrait les cicatrices boursouflées de l'ablation de ma tache de naissance. Un peu de sang souillait le tissu — l'hôpital m'avait prévenue. Je cherchais dans mon sac le tube de pommade antiseptique lorsqu'un craquement m'alerta. Cela venait du couloir (j'avais laissé la porte ouverte). Je me penchai lentement pour observer. Dans l'interstice entre le revers de la porte et le mur, un homme attendait, un pistolet à la main.

Le pansement, imbibé de sang et de pluie, glissa du lit. Il produisit un bruit flasque au contact du plancher. L’individu tourna la tête, plongeant son regard dans le mien. Pétrifiée, je n'étais capable ni de bouger, ni de crier. Ce ne fut pas nécessaire: l’intrus s'était mis à hurler. Je l'entendis dévaler les escaliers, puis se précipiter dehors. Le cœur battant, je descendis, verrouillai, et allumai les lumières dans toutes les pièces. Après m'être rafraîchie et soignée, je m'allongeai pour récupérer de mes émotions.

Une délicieuse odeur m'éveilla. Je rencontrai mes hôtes autour d’un réconfortant pot-au-feu; Margaret et Stephen me remercièrent abondamment de les avoir débarrassés de l'importun. Quant à moi, je bénis mon visage en transition: contre toute attente, ne m'avait-il pas sauvé la vie?


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