Tommaso ne parle plus.
À vrai dire, je ne l’entends même plus.
Attention, je perçois les bruits qui montent de l’immeuble et de la rue. Mon ouïe fonctionne parfaitement. Je suis capable d’évaluer la situation.
Il n’a peut-être rien à dire? Tommaso a toujours été taciturne — enfin, pas exactement. Taiseux, disons. D’habitude il me répond, voilà tout. Parfois. Mon bavardage le fatigue, le pauvre. Cela fait tant d’années maintenant... voyons… quarante-trois. Quarante-trois années en couple, dont trente-deux mariés. Mon bon, si bon Tommaso.
J’ai préparé le café. Je m’enthousiasme encore à utiliser la cuillère doseuse, choisie avec tant de soin. Minimalistes avant l’heure, nous sélectionnions scrupuleusement chaque acquisition. Mais le café est fort aujourd’hui, beaucoup trop fort. Ça m’étonnerait que j’aie confondu les ustensiles.
Il arrive des choses étranges ces derniers temps. Des choses que je ne m’explique pas.
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Il arrive des choses étranges ces derniers temps. |
Où est mon Tommo? J’admire la surface de marbre de la cheminée, impeccablement lisse. Je réprime un fou-rire devant le cadre en pin. À l’intérieur, un inconnu sourit, un garçonnet sur les épaules. L’image venait avec le cadre. Je voulais tenter l’expérience depuis longtemps — dérouter sottement les gens qui me questionneraient à leur sujet. Je ne me rappelais pas être passée à l’acte.
Tommaso me manque. C’est drôle à dire, parce que nous passons nos journées ensemble. Mon chéri, si bon et si adorable.
Où se cache-t-il? Sommeille-t-il dans notre chambre? non... Il grignote un bonbon à la cuisine? pas plus... Alors, il lit un livre au salon. Non.
Pourquoi ne m’a-t-il pas annoncé qu’il sortait? Le verrai-je rentrer, si je me poste à la fenêtre?
Sur le trottoir se promènent des passants audacieux. Robes courtes, pas de collants… Un rayon de soleil, et hop! bonjour les rhumes le lendemain. Oh, une chemise hawaïenne. Comme je les aime, celles-là, avec leurs moelleux motifs… J’avoue qu'il fait moins frais que je pensais. En outre, les gilets que j’ai superposés me compriment la poitrine. J'espère que Tommaso n'a pas froid. Cela constituerait un indice : a-t-il emporté son manteau?
Le placard déborde de savons et de rouleaux de papier hygiénique. Du linge sale traîne sur le carrelage. Bizarre. D’habitude, Tommaso prend la peine de placer ses vêtements dans le panier. Son costume mérite un bon nettoyage. Je parie qu’il n’a même pas vidé les poches de son pantalon! Tiens, son portefeuille. Ses clés? Mais… c’est Tommaso. Il se repose sur le sol de la salle de bains. Il ne faut surtout pas que je le dérange. Pauvre Tommo, il s’épuise vite, à présent. Mon chéri… Tel que je le redoutais, il a froid : sa peau est glacée contre mes lèvres.
Là, je t'ai apporté notre édredon. Ainsi tu es bien couvert. Dors, mon cœur...
On s’installait parfois comme ça, avant. On s'emmitouflait sous l'édredon pour une douillette soirée-télé. Une sensation merveilleuse. On pourra peut-être regarder un film, lorsqu’il sera réveillé.
Tommaso chéri que j’aime tant.
photo © Cody Board