Ses cheveux roux collaient à son crâne. Elle pouvait avoir la moitié de mon âge. Une chemise en jean et un pantalon de toile en lambeaux habillaient son corps émacié; en dépit de leur extrême usure, ses vêtements étaient propres. Seules sur la plage, nous nous regardions sans mot dire.
L'étrange femme s'approcha et leva le bras comme pour me toucher. Je ne réagis pas. Lorsque ses doigts maigres se contractèrent sur mon épaule, je demeurai immobile, malgré la douleur. Relâchant son étreinte, la femme tomba à genoux devant moi et se mit à pleurer. Je ne posai aucune des questions qui se bousculaient dans mon cerveau.
— Comment allez-vous?
— Comprenez-vous ce que je dis? Quel est votre nom?
— Michaela.
— Yo-lan-da.
— Bonjour Yolanda. Allez-vous bien?
Aussitôt, elle se mit debout, indiquant le ponton du doigt. Seul mon bateau s'y trouvait encore amarré. Oui, je pourrais l’emmener au port. Mais si cette femme était folle? Si elle m'agressait, une fois sur l'eau? Elle ne paraissait pas violente, et puis, pourquoi attendre d’être en mer pour me faire du mal? À cette heure-ci en effet, les baigneurs étaient rentrés. Je ramassai ma serviette, l'agitai pour la débarrasser du sable et fouillai dans mon sac à la recherche de mon téléphone. Si je le rallumais, pensais-je en le manipulant, je pourrais l'utiliser en cas de danger.
…Yolanda considérait l'appareil avec perplexité. Lorsque la mélodie de connexion retentit, elle poussa un cri strident et s'encourut. Maudissant mon geste, j'enfouis le téléphone dans mon sac et marchai dans la direction qu'elle avait empruntée. Je dis son nom à multiples reprises en contournant le massif rocheux. De ce côté peu exposé de l'îlot, le sable humide, intact, s'étendait à perte de vue. Yolanda s'était-elle sauvée à la nage? Je songeai au corps délicat de l'inconnue, à sa maigreur, et à la force de ses doigts sur mon épaule. De combien d'endurance disposait-elle? À moins qu'elle ait escaladé la falaise? Seule une personne d'une remarquable agilité pourrait relever un tel défi.
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À moins qu'elle ait escaladé la falaise? |
Je contai mon histoire à la gendarmerie maritime. Plusieurs points donnaient à croire que cette femme vivait dans des conditions extrêmes. Avait-elle survécu à un enlèvement? Je le suggérai aux autorités. Sans le moindre indice, mon témoignage ne pesait pas lourd. Je convainquis un brigadier d'introduire le peu d'éléments dans un programme de recherche. La rousseur de Yolanda jouait en sa faveur. Malheureusement, aucun dossier ne correspondait.
Je regagnai quelques fois la plage, regrettant d'avoir effarouché l'inconnue. La belle saison touchait à sa fin. Ma retraite tombait cette année-là, et au fil des mois, puis des saisons, lors de simples randonnées ou de voyages plus conséquents, j'explorai les côtes adriatiques. Mon désir de retrouver Yolanda resta inassouvi. Par contre, j'éprouvai beaucoup de plaisir au contact de la nature, et cette période de ma vie s'avéra moins morne que je l'avais redouté.
photo © Shana Van Roosbroek