Pourquoi? Il ne sait pas. Cette année, pour la première fois depuis bien longtemps, il éprouve le besoin de vérifier. Peut-être cela vient-il d'un rêve oublié dans la nuit. En réalité, se dit-il avec un peu de gêne, il aurait dû contrôler plus régulièrement. Parce que les choses sont censées bien se passer ne signifie pas pour autant que ce soit le cas.
Reprenons-nous, pense le vieux bonhomme en boutonnant son manteau sur son ventre. Maintenant il serre son épouse dans ses bras, un baiser, et le voilà parti dans la neige épaisse. Percevant sa présence, les rennes s'ébrouent. «Oui, mes amis, nous sortons. Non, pas notre promenade habituelle. Regardez, j’ai fait le plein d’écorces fraîches et de mousse.» Le gros homme se hisse dans le traîneau. «Hue les gars», s'écrie-t-il en administrant un coup de fouet au fringant attelage.
Au bout de quelques heures, le traîneau arrive à destination.
Calfeutrées dans un hangar à proximité de l’aéroport, les bêtes se
reposent. Alors que le soir tombe, le vieil homme marche en direction des
arrivées. Dehors, une longue file de personnes habillées de couleurs sombres
patiente dans l'attente d'un taxi. Plusieurs frappent du pied contre le sol,
l’air frigorifiées. La plupart examinent des télécommandes. Tiens, s'étonne
Claus: personne ne lui prête attention — dans le temps, les visages
s'illuminaient sur son passage.
Comme le territoire a changé! pense Santa. De
gigantesques panneaux installés le long de la route arborent des images plus exubérantes
les unes que les autres. Sur celle-ci, un couple ultra-souriant transforme de la nourriture à l'aide de
matériel dernier cri. Ça fait beaucoup d’appareils, quand même, songe le gros homme en visualisant sa modeste cuisine. Sur la photo suivante, des enfants bien portants ouvrent des dizaines de somptueux cadeaux. Disons qu'il y a un progrès dans la décoration des voies de
circulation, concède le visiteur.
À mesure que la voiture se rapproche de la ville, l’électricité semble gagner en importance. Guirlandes clignotantes couronnant les rues, jardins envahis de créatures gonflées d’air chaud, bougies artificielles aux fenêtres. Même les façades des immeubles à bureaux schématisent des sapins.
— Ici, ça va?
— Tiens, déclare-t-il en offrant la montre au jeune homme. Elle est en or.
— Oui, on dit ça. Tu m'as bien eu. Fous le camp, salopard.
— Allons, allons, mon bon monsieur, dit celui-ci. Vous avez encore du boulot ce soir. Courage, ajoute-t-il en guise d'au revoir.
Ouf, pense Santa. Tout n’est pas perdu.
photo © Simon Lohmann