Confortablement installé à mon bureau, je façonnais un nouvel épisode des aventures de Monica, mon héroïne norvégienne. Née deux années plus tôt, ma protagoniste tirait parti de l'engouement du public envers les romans scandinaves. Mon éditeur et moi avions obtenu un certain succès grâce à cette maîtresse d'école particulièrement douée pour résoudre les mystères — à condition que ceux-ci adviennent au cours des vacances scolaires. J'allumai l'ordinateur et commençai à relire le travail de la veille, de manière à m'ajuster au pouls de l'histoire.
Eh bien! durant la nuit, Monica avait été rebaptisée Monique. Dois-je préciser que je préfère infiniment Monica? Selon moi, là où Monique témoigne d'une incontestable douceur, ainsi que de réserve, Monica incarne la témérité. Je modifiai aussitôt les -que, puis rédigeai plusieurs pages avant de prendre conscience de l'heure. J'enregistrai le document, éteignis l'ordinateur et me hâtai afin d’arriver à temps chez le psy. Pendant les minutes qui suivirent, non seulement ma vie, mais aussi le monde me parurent cohérents. Je tentai de prolonger cette sensation profitable une fois chez moi, au moyen d'un chocolat chaud additionné de piment d'Espelette, un cadeau de ma nièce. Dans le même ordre d’idées, j’eus l’impulsion de me gargariser de mon bon travail et rallumai l'ordinateur, ne résistant pas à la tentation de survoler ma production du jour.
Eh. Mon clavier avait-il basculé en mode insoumis? Monica n'existait plus du tout, supplantée partout, systématiquement, par Monique. Dans le fond, on aime bien les ordinateurs, mais ils nous procurent parfois des surprises. Pour éviter de gâcher ce qui subsistait de quiétude, j'éteignis la machine et me réfugiai sous une douche brûlante.
Le lendemain matin, je débutai de bonne heure. Avant de composer quoi que ce fût, il me fallait permuter les prénoms. Dans le logiciel d'écriture, je sélectionnai l'option «rechercher et remplacer». Dans la case «rechercher», j'indiquai Monique. En remplacement, j'inscrivis Moni. Moni. Le -ca refusait d'apparaître. Eh! Mon clavier était-il détraqué? J’essayai candélabre, cargo, camion. Ça marchait parfaitement. Je prélevai la syllabe en question et entrepris de la transférer. Impossible.
L'idée d'appeler un soutien informatique m’effleura, mais je n’allais pas ajouter le ridicule au stressant. Je lâchai prise, ressentant une impression étrange — presque un soulagement. Le surnaturel existait, et ce n'était pas si terrible que ça. Peut-être survenait-il plus fréquemment qu'on le pensait. Simplement, les gens n'en parlaient pas. Après tout, divers sujets manquaient aux conversations conventionnelles; la sexualité, par exemple. Je parcourus la suite du document. Sapristi. Mon héroïne blonde possédait désormais une chevelure brune.
Et puis soudain, face à cette accumulation d'anomalies, une explication rationnelle émergea. Si mon subconscient se remémorait une Monique? Une ancienne baby-sitter qui correspondrait à la description, et dont j'étais possiblement amoureux à l'époque. Ou la mère d'un camarade de classe? À moins que… la chirurgienne responsable de mon ablation d'amygdales?
Il n'était pas encore dix heures. Je préparai un second café, allumai la radio et posai mes mains sur le clavier. Lorsque je portai la tasse à mes lèvres, le liquide était froid. Je consultai l'heure au bas de l'écran. Midi. Dehors, il faisait noir. Je réalisai alors que je me trompais. Pas midi. Minuit. Devant moi s'affichaient des centaines de lignes. Que racontaient-elles?
Si les péripéties extra-scolaires de Monica Haugen avaient bénéficié d'un agréable accueil, le triste destin de Monique Van Belleghem suscita un intérêt planétaire. D'origine flamande, la retraitée résidait sur la côte belge. Sportive, elle aimait enfourcher son vélo dès l'aube pour admirer le lever de soleil sur la digue. Un matin, un conducteur la percuta. Au lieu de contacter les autorités, il chargea le corps dans le coffre de sa voiture. Le cadavre demeura dans le congélateur du chauffard pendant six années, jusqu'à ce que le commissaire Maarten Nickmans achève la lecture de mon dernier polar. Selon l'usage, j'avais mentionné que «la ressemblance avec des personnes réelles ne saurait être que fortuite», mais de toute évidence, je m'étais trompé.