Le Cellulaire de Noël

— Oui, j’attends l’autobus. Il doit arriver dans quatre minutes, mais ça m’étonnerait, vu la neige.
— L’autobus? Toi?
— La voiture est au garage... Pffft… je suis complètement déprimée en ce moment. Je ressens ça de plus en plus chaque année: à la période des fêtes, ça ne va pas du tout.
— Il fait plus sombre, on entre dans l’hiver… c’est un peu le moment de se chouchouter, quand on peut. Prendre un bain… boire un bon chocolat chaud… se réfugier dans son divan avec de la musique qu’on aime et un livre, regarder une série ou un film…

— Oui, mais moi c’est davantage le fait que d’une année à l’autre, je sais de moins en moins quoi acheter pour Gilles et les enfants.
— Euh…
— C’est pas facile, tu sais! Je leur ai demandé de me faire des listes mais il n’y a encore rien qui est venu…
— Moi, je dis toujours qu’on peut trouver tous ses cadeaux de Noël à La Soupière, tu vois? le magasin indépendant sur Mont-Royal, avec des articles de cuisine.
— On a déjà tout ça.
— Oui, je m’en doute, mais parfois on peut remplacer par quelque chose de plus beau, de meilleure qualité… une tasse, un tablier…
— Bof, ça me dit rien. Et qu’est-ce que je fais après de ce que j’ai remplacé?
— Tu donnes.
— Où? J’ai pas beaucoup le temps d’aller porter des affaires à gauche à droite, moi…
— Tu n’es pas obligée d’aller tout de suite. Tu les rassembles dans une boîte en carton.
— Ouais, mais je la mets où, la boîte, en attendant ? C’est encombrant…
— Tu trouves une place dans un placard?
— Oui mais alors je vais oublier… ça me paraît compliqué. Et puis, je fais quand même des cadeaux d’un certain montant, je ne veux pas acheter n’importe quoi.
— Ils ont des machines à pain…
— Bof.
— Ou alors, tu peux faire des «bons pour», par exemple des sorties au resto. Un endroit où vous n’êtes jamais allés, un peu plus luxueux… tu peux même imaginer des restos deux par deux, un parent avec un enfant, et Alix et Oscar sans vous, comme ça ils resserrent leur lien…
— Aller au restaurant, ça ne fera pas du tout fête, on y va déjà régulièrement. Et les enfants n’auront aucune envie de passer du temps ensemble, ils vont carrément croire que je me moque d’eux. Quelle corvée...
— Oui enfin, en même temps, on s'entend que c'est quand même une chance d'avoir les moyens d'offrir de beaux cadeaux aux personnes qu'on aime.
— En plus, la réunion de famille est chez nous cette année, et mon cousin est végane. Qu’est-ce que tu veux que je fasse à manger? Y’a rien, je ne peux RIEN faire.
— Comment ça? Tu cuisines aussi des accompagnements, non? alors tu ajoutes du végé pâté sur une petite assiette et le tour est joué. Il ne s’attend certainement pas à un buffet entier, tu sais?
— Mouais. Ah, voilà l’autobus, je te laisse, à la prochaine...


Un homme est assis sur du carton étalé à même le trottoir, un berger allemand endormi contre lui. L'homme regarde dans le vide. Avant de grimper dans l'autobus, la dame lui laisse son café; elle le dépose sur le carton.
— Attention de ne pas le renverser, il vient de chez Tomei.

Il reste effectivement quelques gorgées à l'intérieur du gobelet.



Photo © Giancarlo Duarte
Photo © Georgi Kalaydzhiev