Une Séance de Twin Peaks

Il existe des gens avec qui on ressent des affinités immédiates, mais dont on ne se rapproche pas, pour toute une série de raisons. Par exemple, il n’est pas aisé de se rendre chez eux en transports publics, ou une phrase qu’ils ont prononcée en début de relation nous a refroidi. Parfois, c’est juste une question d’horaire. Et, lorsqu’on les recroise quelques années plus tard, on découvre qu’on a comme raté des années d’amitié. À moins qu’il s’agisse de nos évolutions respectives, qui nous ont rendus désormais mieux en phase.

J’appréciais Sidonie. Je la trouvais indépendante, accomplie, audacieuse—elle ne craignait pas de relever les défis, ni de s’engager. Elle avait choisi un métier qui me tentait mais dont je ne souhaitais pas me coltiner les aspects plus rébarbatifs, acheté une maison avec son partenaire de vie (le plus ancien ami de mon époux), et, ensemble, ils avaient conçu un enfant. Tant de choix difficilement remédiables en cas de besoin, et qui me terrorisaient à l’aune de mes propres prises de risque—déménager à une heure de Montréal, accueillir un cinquième chat dans notre minuscule appartement.

Notre passion commune pour le mah-jong et les films de David Lynch témoignait néanmoins d'une évidente connexion.

Il apparaît qu’en dépit de leur ampleur, les possibilités d’échec auxquelles Sidonie s’était exposée avaient fait l’objet d’un bien meilleur calcul que le mien. Et que j’aurais assurément dû la fréquenter davantage, pas seulement pour le plaisir de faire résonner nos âmes, de rire, de bavarder: aussi parce que lorsque le célèbre cinéaste décéda et que ses œuvres furent rediffusées sur grand écran pour une poignée de séances, j’ignorais que Sidonie était en arrêt de travail et que contre toute attente, nous assisterions à la même projection de Twin Peaks—un après-midi en milieu de semaine. Il s’avère que j’avais proposé à Stanislas de m’accompagner, cet homme dont je désirais devenir la maîtresse.

Il devait sans doute en être ainsi. Ne m’apercevant de la présence de mon amie qu’au moment où les lumières se rallumèrent, j'avais vécu l’expérience Twin Peaks ultime, sauf respect pour Laura Palmer, innocente de tout crime. Une sensualité suffocante et dépravée—intensifiée par l’indécente proximité de Stan (on bat la technologie haptique)—; et la fin, atroce, inéluctable.




photo © David Lynch